La révolution annoncée pour le secteur de la publicité en ligne va-t-elle voir le jour ? L'année 2021 s'annonce charnière. La mort préméditée du cookie -ces petits fichiers textes enregistrés dans les navigateurs, permettant de tracer les internautes sur Internet- promet de rebattre les cartes pour l'industrie publicitaire à l'échelle mondiale. Ce mouvement de fond est couplé à de nouvelles exigences en France, imposées par la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) à compter de ce jeudi 1 avril.

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Nécessité d'obtenir un "vrai" consentement

En octobre dernier, le gendarme des données personnelles a publié de nouvelles recommandations à destination des entreprises pour renforcer le consentement des internautes vis-à-vis des cookies et autres traceurs. Depuis l'entrée en vigueur dans l'Union européenne en mai 2018 du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), les annonceurs doivent recueillir le consentement "libre, explicite et éclairé" des internautes pour pouvoir déposer des cookies dans leurs navigateurs. Mais dans les faits, la Cnil a constaté que le consentement était souvent contraint afin de pouvoir poursuivre sa navigation sur Internet.

C'est pourquoi le gendarme français affirme désormais que la simple poursuite de la navigation sur un site Internet ne doit plus être considérée comme un consentement mais comme un refus des traceurs. Autre victoire pour les internautes : refuser les traceurs doit devenir aussi aisé que les accepter, selon la recommandation.

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Publicité : attention, la fin des cookies ne signifie pas la fin du traçage

"L'échéance posée par la Cnil a été prise très au sérieux par les annonceurs, les éditeurs et les régies publicitaires, estime Guillaume Tollet, directeur exécutif au sein de fifty-five, entreprise de consulting en marketing spécialisée dans la data.

Alors que les entreprises disposaient d'un délai de six mois pour se mettre en conformité, les fenêtres pop-up ont fleuri ces derniers jours sur les pages Web avec une nouvelle mention : "continuez sans accepter [les cookies]" - et ce, sans avoir à lire des conditions illisibles et des paramètres longs comme le bras.

Car en offrant un véritable choix aux internautes, les annonceurs s'exposent à des refus plus importants. "Lorsque les plateformes de recueil de consentement sont optimisées, on estime que les annonceurs pourraient avoir un taux de consentement moyen entre 65 à 70% - soit une perte de collecte de cookies de 30 à 35%, chiffre l'expert. Mais pour obtenir de telles performances, "un travail de pédagogie et de transparence va devoir être réalisé par les éditeurs pour expliquer l'intérêt de la publicité ciblée pour eux."

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Vers des cookies moins performants...

Pour le secteur de l'AdTech -pour advertising tech ou startups de la publicité-, cela va se traduire mécaniquement par une baisse de la représentativité de leurs échantillons et donc, un ciblage moins précis. Un séisme pour l'industrie ? "Il s'agit davantage d'une transition", juge Guillaume Tollet. Au-delà des nouvelles recommandations de la Cnil, les poids lourds du secteur suppriment progressivement les cookies tiers. Apple les a supprimé par défaut de son navigateur Safari dès 2017, suivi par Mozilla sur Firefox en 2019. Le géant Google, qui domine le marché publicitaire mondial, a annoncé vouloir supprimer à son tour les cookies tiers d'ici à 2022 sur son moteur de recherche Chrome.

L'intérêt pour ces géants : soigner leurs images de marque. Alors que les débats sur la protection de la vie privée en ligne sont de plus en plus vifs, cela permet aux mastodontes de la tech de se positionner comme des défenseurs de la vie privée en ligne.

Conséquence : avec ou sans cookie, les internautes vont continuer d'être traqués sur Internet. Google prépare d'ailleurs le terrain depuis août 2019, avec le lancement de son initiative "Privacy Sandbox". "Bloquer les cookies sans alternative pour apporter de la publicité pertinente réduit significativement la première source de financement des éditeurs, ce qui met en péril le futur d'un Web florissant", justifiait alors la firme de Mountain View dans une note de blog.

Mais de nouvelles façons de traquer les internautes

C'est pourquoi le groupe américain planche sur un système alternatif, baptisé "federated learning of cohorts" (Floc). Terminé le ciblage publicitaire individuel, Google veut désormais créer des segments d'audience - les fameux Floc -pour classer les personnes selon leurs centres d'intérêts, en fonction de leur navigation sur le Web. Cela peut être par exemple des groupes type "urbains aimant le sport". Ces groupes, de plusieurs centaines voire milliers de personnes, seraient assez larges pour qu'il soit impossible de dévoiler l'identité de l'internaute ciblé... Mais suffisamment précis pour permettre aux annonceurs d'atteindre leur cible.

Si ce système est actuellement en cours de développement chez Google pour devenir une solution propriétaire, des critiques émergent déjà. La coalition "Marketers for an Open Web" (en français, les professionnels du marketing pour un web ouvert), qui regroupe des éditeurs de médias et des entreprises technologiques située à Londres, s'oppose à ce nouveau système. Elle redoute qu'il ne piège encore plus les entreprises dans l'écosystème fermé de Google, qui vend des espaces publicitaires mais aussi des services en tant qu'intermédiaire entre les sites et les annonceurs. La coalition a d'ailleurs déposé plainte auprès de l'autorité de la concurrence britannique, qui a lancé une enquête antitrust contre Google en janvier.

Autre grief, qui relève de l'éthique : un tel système de cohortes pourrait déboucher sur un classement arbitraire, voire biaisé, des internautes.

Anaïs Cherif

6 mn

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