“N’ouvrez pas l’iPhone et n’essayez pas de réparer vous-même l’iPhone.” La phrase est encore dans le manuel de sécurité des smartphones d’Apple, disponible en ligne, et sera pourtant bientôt obsolète. La marque à la pomme commercialisera dès 2022, aux Etats-Unis, puis en Europe, des pièces détachées de ses iPhones 12 et 13, des outils, et un manuel, pour permettre à ses utilisateurs de réparer eux-mêmes leur smartphone.

Apple explique que ce programme intitulé Self service repair s’inscrit dans la continuité de l’action de la marque ces dernières années. Après avoir alimenté un réseau de 2.800 réparateurs indépendants en 2019, en supplément de ses propres centres de réparation, Apple passerait l’étape suivante, en permettant l’accès direct des utilisateurs aux pièces détachées.

"On part de très loin"

Mais du côté du réseau Right to Repair en Europe, qui défend le droit à la réparation, le son de cloche est différent: “C’est incroyable, s'étonne Chloé Mikolajczak, chargée de campagne. Encore, il y a quelques semaines, l’entreprise s’opposait à la réparation. Elle permettait un accès presque inexistant aux pièces détachées, et pratiquait du lobbying contre la réglementation sur la réparation aux Etats-Unis. C’est une bonne nouvelle, on part de très loin.”

Pour Hugues Poissonnier, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation en management des achats, le virage s’explique avant tout par une volonté de répondre “aux attentes des clients”. Le professeur à la Grenoble Ecole de management explique: “Les clients sont de plus en plus nombreux à demander des pièces détachées ces dernières années. L’impossibilité de réparer ses appareils a été vivement reprochée aux marques, pour son empreinte environnementale. Cette irréparabilité visait à faire racheter régulièrement des appareils”.

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Une pression internationale

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Le choix de donner accès aux pièces détachées améliorerait l’image de la marque, explique l’économiste: “Apple prend un avantage concurrentiel sur Samsung, par exemple, en revêtant une image de responsabilité, de moindre empreinte environnementale. Elle apparaît comme une entreprise moins à la recherche d’un chiffre d’affaires.”

Autre motif qui pourrait expliquer le choix d’Apple: la pression des instances internationales. Au printemps dernier, la FTC, l'autorité américaine de la concurrence, s’était engagée pour un “droit à la réparabilité”, pointant notamment du doigt Apple. Et en 2019, de nouvelles directives européennes ont été prises en faveur de l’écoconception. “Ils ont peut-être voulu anticiper la législation, pour être les good guys”, s’amuse Chloé Mikolajczak, du réseau Right to Repair.

"On vend rarement au-dessus de 200 euros de pièces détachées"

Certains férus de technologie restent prudents, à l’image du YouTubeur spécialiste du high-tech, Leo Techmaker, qui pointe deux inconnues à cette nouveauté: “le prix des pièces détachées, et le contrôle d’Apple sur les composants”.

Côté prix, le fondateur et dirigeant d’une enseigne française de réparation de smartphones explique: “Nous, on vend rarement au-dessus de 200 euros de pièces détachées. Sinon, le client a peur, et préfère le faire en boutique, avec un professionnel, pour 40 euros de plus. C’est quand vous avez un écran en pièces détachées à 50 euros et une réparation à 100 euros que la question se pose." Chloé Mikolajczak note: “Si le coût de la réparation totale est au-dessus de 30% du prix total d’un produit, les gens privilégient même le remplacement du produit.” Apple ne s’avance pas encore sur le prix des pièces détachées qui seront distribuées.

Vers une mainmise d'Apple sur le marché de la réparation ?

Quant au “contrôle d’Apple sur les composants” évoqué par le YouTubeur, cela fait référence à une polémique suite à la mise en marché de l’iPhone 13. L’écran du smartphone ne pouvait pas être remplacé par des écrans issus d’un réparateur tiers, mais devait être remplacé impérativement par un écran homologué Apple, sous peine de perdre la technologie Face ID. Cette particularité a depuis été gommée, mais la crainte d’une volonté de monopole d’Apple sur les pièces détachées reste réelle. “Dans ce cas, Apple mettrait la main basse sur les boutiques de réparation”, s’inquiète le dirigeant d’entreprise de réparation française. La marque à la pomme ne commente pas, de son côté, ces suspicions.

Même sans technique technologique pour obtenir le monopole des pièces détachées, Apple pourrait bien tirer son épingle du jeu, comme l’explique l’économiste Hugues Poissonnier: “Les pièces Apple peuvent devenir une garantie de qualité, de conformité. Les clients pourraient se tourner vers elles plutôt que des produits tiers”.

Une offre qui s'adresse avant tout aux initiés

Dernier point noir pointé par Right to repair: la réparabilité des iPhones. “Si les appareils sont compliqués simplement à ouvrir, l’accès à l’auto-réparation reste très restreint”, déplore Chloé Mikolajczak. Apple précise que l’auto-réparation ne s’adresse qu’aux utilisateurs qui se sentent capables de la pratiquer. Le fondateur de l’entreprise française de réparation de smartphones explique: “Depuis 10 ans, nous avons aidé plus de 100.000 clients. L’auto-réparation est un marché de niche, mais sur une énorme population. En termes de proportion au sein des utilisateurs de smartphones, on est en dessous des 10%.”

Tous les regards restent donc tournés vers 2022, où l’on y verra plus clair sur les prix et le fonctionnement du programme Self Service Repair. Et chacun s’accorde à voir dans cette annonce une première avancée. “Ca peut donner l’envie de réparer ses appareils!”, s’enthousiasme le YouTubeur Leo Techmaker. Et pour Chloé Mikolajczak, Apple montre aux autres grandes marques que l’auto-réparation n’est pas un gros mot. Du côté de la marque à la pomme, on annonce qu’après les iPhones, le programme Self Service Repair s’ouvrira aux Macs.

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